Il faut cultiver notre jardin.
(Voltaire.)
A l'Exposition centennale de l'art français, les peintres provençaux remportaient, l'an dernier, des avantages marqués, même triomphaux, dans la glorieuse bataille artistique qui se livrait aux murs des salles du Grand Palais, entre les meilleurs ouvriers picturaux du siècle finissant. On fut surpris de la science d'un paysagiste animalier comme Loubon; beaucoup crurent découvrir pour la première fois, avec une admiration étonnée, l'intimité profonde des subjectifs portraits de Gustave Ricard, bien que ce peintre fût depuis longtemps au Louvre; l'art sincère et fort du paysagiste Paul Guigou arrêta au passage la critique et la foule; enfin, quelques toiles de Monticelli suscitèrent de la curiosité enthousiaste. Ce fut comme une révélation.
Est-elle due, cette révélation tardive, à l'absence des œuvres de ces artistes provençaux – Ricard à part – de nos musées nationaux du Louvre et du Luxembourg1? D'où viennent ce long silence et ce pesant oubli? Enfin, que leur manqua-t-il, à ces admirables peintres, pour acquérir la gloire méritée?
Rien, certes! Mais ils eurent le tort de vivre, de travailler et de mourir en Provence, dans leur pays natal; où ils trouvèrent, du reste, les sources de leur meilleure inspiration.
La Provence – comme d'ailleurs toute la province, grâce au système centralisateur qui étreint, paralyse et tue la France – a toujours tort; et l'Art, lui, est le premier frappé, car plus que jamais il faut qu'il soit de Paris ou consacré à Paris, pour avoir droit à la Justice, à la Renommée.
Mais si c'est à leur vie, volontairement faite chez eux, à leur mort pour la plupart, survenue, là, sans bruit, que ces artistes provençaux doivent d'être restés en partie obscurs et aussi longtemps ignorés par les détenteurs de nos gloires nationales, c'est aussi à ces circonstances qu'ils méritent, par l'originalité puisée dans l'amour et la compréhension de leur pays, d'être remarqués aujourd'hui et de paraître plus intéressants. Par la comparaison possible et la reculée nécessaire du temps, l'œuvre d'art acquiert sa grande et réelle beauté. Et pendant que vont disparaître dans l'indifférence bien des réputations officielles et tapageuses de ces dernières années, les noms de ces Provençaux, inconnus ou oubliés à Paris, jusqu'à hier, ceux-mêmes, – comme Aiguier, Engalière, Simon etc., etc., – qu'on a négligé de montrer à la Centennale, vont s'imposer définitivement, et entrer dans l'histoire de l'art pictural français du siècle.
A certaines époques de l'art chez les peuples, l'influence de l'apport fait par des artistes étrangers au profit d'une race autochtone eut souvent des conséquences si heureuses, si inattendues comme résultats, qu'elle put fournir prétexte à des explications diverses. Les uns ont voulu affirmer que les nouveaux venus eurent seuls le mérite de la renaissance qui se produisit en ces moments-là; d'autres ont osé prétendre que les artistes étrangers qui apportaient leur talent particulier au service d'une civilisation existant déjà, durent le plier au goût du peuple hospitalier et comme par un sentiment de reconnaissance. Ces opinions opposées se peuvent soutenir: on peut même dire qu'elles se complètent. S'il y a, au point de vue physique, des croisements de race qui donnent de plus beaux produits que ceux résultant de l'union de sujets de la même famille, on peut admettre qu'au point de vue artistique, des échanges heureux ont pu s'établir entre différentes écoles éloignées; et encore, que des germes d'art accidentels, tombant dans des milieux favorables, ont donné, à certains moments, de merveilleux résultats.
Il est incontestable que les artistes grecs qui descendirent en Provence, y apportèrent les éléments de beauté qui étaient chez eux le but de l'art. Mais il est non moins probable que ces artistes furent tout de suite compris, encouragés; et qu'ils trouvèrent sur cette terre hospitalière une population enthousiaste, des admirateurs puissants et bientôt des élèves nombreux doués de vives aptitudes. Ces ferments de beauté de l'art hellénique agitèrent si profondément le pays et y prospérèrent si bien que, cent cinquante ans après la disparition de la Grèce, l'art était, en Massalie, en pleine florescence, cultivé par des artistes supérieurs dont la réputation s'étendait lointaine2.
Déjà des artistes provençaux avaient été antérieurement appelés en Grèce pour enrichir ce pays de nombreuses statues. Plus tard, la Rome républicaine – tout absorbée par la conquête et partant par la nécessité de faire de chaque citoyen un soldat – vint souvent demander à la Provence ses artistes en tous genres. Et quand, sous les Césars, le luxe exagéré, le faste sans goût, la richesse appliquée sans mesure, contribuèrent à la dégradation de l'art, la Provence, longtemps encore après l'invasion des Wisigoths, conserva le sentiment de la beauté simple des Grecs.
Bientôt, aux clameurs victorieuses des hordes wisigothes, se mêlèrent les bruits de destruction des premiers chrétiens qui, dans leur haine des anciens dieux, anéantissaient les statues antiques. C'est avec fureur qu'ils obéirent aux ordres de Constantin et de Théodose leur commandant de briser les idoles et de renverser les temples. Et alors, tous les chefs-d'œuvre du paganisme disparurent du monde en deuil.